Issy 1 – 3 SCMC B (0-2)
Le calme avant la tempête
Le capitaine est déjà appuyé au bastingage zingué depuis un bon moment. De tous ces hommes, c’est bien lui qui
doit être le plus impatient. Une semaine de calme depuis leur dernière sortie en mer. Et comme après chacune, les sept jours de repos ne sont pas de trop. Même si pour les plus mordus, ils sont
en manque d’action et ne rêvent que de cette nouvelle marée. La campagne précédente avait été fructueuse englobant succès et son lot habituel de casse humaine. Joël sera donc le bosco d’un jour.
Au pré-rassemblement, un ancien, ayant consigné peu de jours de sortie dans son carnet de bord, semble dans tous ses états. Souvenirs d’une folle soirée sous des cieux tropicaux, les yeux encore
illuminés d’un feu d’artifice de couleurs insoupçonnées, il abreuve ses coéquipiers d’un flot saccadé de propos qui se chevauchent. Ponctuant en alternance son récit de cris et d’une gestuelle
théâtrale à défaut d’être sensuelle, il commence à donner les abeilles à certains, remarquons alors que même le plus cireux de nos Ulysses aurait bien du mal à l’appel du meurtre. Apothéose de
cet échange majeur, l’explication technique d’un ancien de la narine ayant beaucoup bourlingué dans ces contrées de sable doré, évoquant la particularité de ces danseuses, véritables pomme paume
girls, et dont le doux nom répond à celui de ré. Hilarité générale à la tournée des cafés, la campagne part sur de bonnes bases, il faut maintenant tous se retrouver sur le ponton à l’abri de la
jetée.
Après avoir écouté les nouvelles de la météo passant en boucle et ânonnant tous ces chiffres cabalistiques que
lui seul interprète correctement (5 beaufort, creux de 6 à 8 mètres, 20 nœuds), Jean-Paul se prépare à donner enfin le signe du départ. Les esprits
sont relâchés dans l’ensemble. Seuls de vieux loups grimacent faisant montre de quelques constipées pensées ou de mal de cheveux. Qu’importe, tout le monde prend place dans les embarcations qui
les mènent rapidement au port d’Issy. Le temps est encore clément pour le moment, les choses ne tarderont pas à changer radicalement au moment de prendre la mer.
C’est pas l’homme qui prend la mer…
Tous réunis dans le carré, l’équipage présent entame la procédure d’appareillage. Les sacs sont prestement vidés
et chacun enfile son ciré orangé. Couleur réglementaire lorsque ces hommes opèrent sur les grands fonds afin d’être, dans la mesure d’un possible, récupérer si ils venaient à passer tête
par-dessus bord. Les échanges seront réduits, pour cause de débit ininterrompu de la vigie. La géographie des lieux augmente le phénomène. Seul sur son banc, Guéna continue d’éructer son souvenir
si frais. Au texte, il rajoute une improbable chorégraphie tout d’abord vêtu d’un caleçon blanc, visiblement aguerri aux grandes marées, puis comble du sublime, la démonstration se prolonge dans
une tenue proche de la vierge sirène. Des poils en guise d’écailles, l’illusion est presque parfaite.
Il est maintenant temps qu’il couvre cette nudité. Et là encore, c’est un grand moment. Pour commencer, les chaussures semblent sortir tout droit du dernier marathon des sables couru sous une
pluie battante. Crottées à souhait, on se demande vraiment si elles peuvent être opérationnelles. Le bas n’est pas mal non plus. Bien que maculé de taches de boue rouge, il est difficile de le
faire passer pour un habit de lumières. Le clou du défilé intervient avec le port d’un coupe-vent dont la couleur, allant du violet au fuchsia vous pique les yeux. La couche de poussière atteste
que son propriétaire la peu porté. Notre portier utilise alors la large accolade à notre Lawrence D’Arabie pour lui transmettre cette pellicule peste. Dans ces conditions, les hommes sont
franchement hilares et le bosco les rappelle à l’ordre d’une phrase. La concentration est faible, personne n’est dans son match. Le capitaine envoie la compo du premier quart, histoire que chacun
se sente concerné par le travail à faire. Guéna dans sa gabie fera la vigie, un obscur soutier placé dans la cale gauche en la personne de Yamane, dans un geste de dépit, le meneur d’hommes
annonce qu’il est désolé de la présence malheureuse de Bruno. Par chance, il ne lui en sera pas tenir rigueur (en fait aux deux). Sur le pont arrière, à la manœuvre de remontée du chalut Philippe
Godec et Pat. Sur le pont supérieur, soumis aux déferlantes se trouvent Michel Morel, Yannick et Eric Austruy. Sur le pont avant, les harponneurs prennent place. Philippe Ramillon et
Deshais accompagnent Guy qui en tant qu’ilien ne redoute aucunement les sautes d’humeur de cette mer nourricière. Dans le canot de survie, quelques
clandestins attendent que les cotes se soient éloignées pour proposer leurs services. Joseph, José, Chakib et Victor bourrés de novamine attendent. Le temps de se rendre sur la zone de
pêche, les éléments aquatiques et venteux se manifestent. Soudain, le bip du sonar se met à crépiter. Pas de doute possible, les thons à flancs noirs sont localisés, le grand jeu peut enfin
commencer. Les premières minutes sont difficiles. Les proies, animées du spectre de Pavlov, sont intenables. Tous les marins s’animent alors de mouvements saccadés. Chacun à sa place et dans son
propre tempo. Resserrer la nasse. Emprisonner les cibles, les coincer le long de la bande, mettre la pression sur chaque dégagement de la bouée blanche. Yannick est aux prises avec un thon. Lui
monte sur la tête sans utiliser les bras. La décision du code la mer en décide autrement. Yan le nantais ira de quelques proverbes mélangeant breton et haut celte. Le vent redouble, il tombe des
hallebardes. Le vert filet remonte enfin. Vide ! Un coup pour rien. Les creux augmentent, le bateau se balance de plus en plus. Au point le plus
haut de la vague, il s’immobilise quelques instants, suspendu entre 2 mondes noirs d’un liquide bouillonnant. La bascule est brutale, le choc de l’étrave l’est encore plus. Les coups font
résonner toute la structure et les os des hommes. Dans l’enthousiasme, peu ont pensé à accrocher leur ligne de vie. La houle, gerbant des écumes en son faite, empêche les visiteurs de coordonnées
leurs opérations. Leurs estomacs sont malmenés et leurs yeux régulièrement pleins d’eau salée. Les adversaires se débattent tellement que leurs actions se succèdent les une après les autres. L’un
deux plus coriaces ira même défier la vigie pour un contact brutal où les cuisses garderont la sensation d’une bonne béquille.
Les mailles du filet se relâchent de plus en plus. Les sabords prennent l’eau, par seaux entiers, l’aqueuse
matière s’infiltre. Les pompes tournent à plein. Elles ne peuvent suffire à rejeter ce qui rentre. Lentement, la ligne de flottaison s’enfonce. Sur un
ballon de coin, la trajectoire fend les eaux vers le poteau droit. Bruno, empêtré dans les haubans, ferme prudemment les yeux et dans cette obscurité se cogne contre la structure du bâtiment tout
en renvoyant le projectile. Le choc lui procure une montée violente d’adrénaline et c’est un mousse motivé qui retourne sur le pont prêt à en découdre, avec les dents si il le faut. Sortant des
coursives comme un forcené, il chasse le trop plein d’eau de ses yeux pour apercevoir Guy. Ce dernier profite d’une légère accalmie de Neptune pour contrôler le ballon et envoyer sa ligne à
l’aide d’une immense parabole de plus de 35 mètres. Philippe Godec, dés le tir déclenché, annonce déjà la destinée heureuse. Un saut de dauphin du Marineland plus tard, la première prise du jour
est ferrée, assurée et ramenée sur le pont afin d’être dépecée. Les merlus prennent enfin la mesure des éléments. Les creux…se creusent de plus en plus, les embruns sont autant de douches qu’un
écossais pourrait le supporter. Ils sont aux anges, médusant leurs adversaires par une maîtrise de jeu rarement exécuté depuis l’ouverture de la pêche. Le jeu bascule de tribord à bâbord, roule,
tangue à la limite d’une gîte sans recours. Bruno semble dans son élément et assure ses relances sans privilégier la côte Est. Guy lui fait remarquer malgré le brouhaha grandissant d’un Pat au
prise avec un thon originaire de corse. Marrons, châtaignes et doux noms de poissons, il faut le voir avec son tablier maculé et son hachoir à la main. Les yeux révulsés, Pat est dans son monde
et personne ne peut l’atteindre. Le pressing se fait toujours grandissant autour du banc adverse. Bruno sent le coup et intercepte pour une relance vive sur tribord. Guy renvoie le colis vers le
centre qui est repris victorieusement par Philippe Ramillon de la tête. Les frissons de plaisir qui parcourront l’échine du bidou seront sa meilleure prise de la journée, moment d’extase qui
contraste avec le décor de la bataille qui fait rage. Tout l’équipage est solidaire, exemplaire dans l’adversité, toujours à se communiquer les mouvements de la cible pour mieux couvrir le
périmètre qui n’arrête pas de ce déplacement sur cet océan en furie.
Un homme à la mer
Il est temps de chercher un havre de paix, pour un peu de sérénité
retrouvée. Le ciel n’est toujours pas vidé et déverse toujours son écot. Serré, compact, le groupe écoute son capitaine pour déjouer les pièges d’une seconde période qui peut se révéler
dantesque. Les clandestins sont délogés de leur planque et pour ne pas servir de repas aux grands blancs acceptent de partager le travail des 11 apôtres. Le répit est de courte durée, car sur le
cadran noir, de nouvelles lignes vertes apparaissent. Le banc de thons est de retour et il est le moment de participer à la curée.
Pour assurer la reprise, le capitaine reconduit les mêmes. Pas pour longtemps en fait. Pat, toujours au prise
avec sa baleine, se fait ferrer le coin de la gueule. Un Hyde, en inhabituel marin fait alors son apparition. Tel un Achab en pleine transe face à son trésor blanc, il perd tous repaires, tentant
malheureusement de se raccrocher à la moindre vergue. L’accident tant redouté arrive pourtant. Cul par-dessus tête, tête par-dessous les flots, le voilà happé, perdu, disparu. Pendant quelques
instants, son ciré orange danse au sommet des vagues, ses cheveux épars ressemblent aux longs filaments d’une méduse ballotée par le courant. Ces mots féroces sont pris, mangés par le vent qui
hurle sa joie. Les cris se meurent, disloqués par les bourrasques. Poséidon réclame son dû, tribut lourd pour un groupe qui doit se rééquilibré dans
l’urgence en faisant rentrer Joseph. Michel se repositionne au centre.
José est également mis à l’ouvrage avec la sortie de Guy. L’idéal serait de se mettre à l’abri en assurant une
nouvelle prise. Philippe, le harpon en verve depuis quelques temps déjà, l’entend tout autant de même. Sur le manche en bois de son arme, quatre encoches attestent de sa réussite lors de la
dernière sortie. José lance notre harponneur fou qui, au bout d’une belle chevauchée surfée sur la crête d’une énième déferlantes, balance son pied gauche pour un tir croisé. Le ballon ricoche
sur le poteau et termine sa course au fond des filets. La première éclaircie dans cette tempête vient de voir le jour. Ce rayon de lumière transperce comme un puits les lourds nuages. Les esprits
se relâchent alors un peu. Les corps sont douloureux. Le travail se fait de plus en plus pénible, les heures s’accumulent et la motivation commence à
baisser. La vigie commence à souffrir d’hallucinations et s’offre un magistral « A l’attaque » afin de ponctuer un dégagement. Son sang de pirate breton doit encore contenir des restes
d’abordages contre les bricks de la Royale. Yannick et Bruno ont bien du mal à garder leur sérieux tout en voyant le ballon caresser les gris et bas nuages au dessus de leurs têtes. Ce qui l’est
moins ? La faute qui en découle car dans son euphorie de soudard, il se trouvait au-delà de sa ligne de surface. Par chance, la bouée sera
propulsée en dehors de sa nasse. Victor, jeté dans la mêlée, à bien du mal. Difficile de prendre, de trouver sa place. Se mettre au rythme d’une sarabande décousue, sans s’y noyer aux premiers
coups de palmes, l’objectif est pourtant simple en théorie. Après 2 actions, il boit une tasse de près d’un litre. Panique, brasse, ses eaux turquoise ne sont pas là pour lui remonter le moral.
C’est au prix d’un gros effort qu’il revient à bord. Les châtillonnais pressentent la fin des hostilités, se font moins présents. Un
thon plus coriace que ses congénères s’anime. Une large entaille aux commissures des lèvres indique qu’il a déjà échappé à une précédente curée. Se faufilant avec adresse et rapidité, il parvient
à déjouer la surveillance défensive. Contrôlant la bouée à moins de 5 mètres de la ligne de flottaison, il expédie un véritable exocet sur notre gardien. Dans un magnifique réflexe, ce dernier
exécute la parade de l’année, déviant le ballon qui affichait son envie de terminer sa course en pleine lucarne. Coupables de ne pas respecter les quotas de productions, les voilà
pénalisés par le tribunal d’un genre peu pacifique. Un mur fantoche est mis en place. Comme ces horribles boudins qui doivent lutter inefficacement contre les marées noires, il laisse filtrer le
plus important. Le tir ne laisse aucune chance à Guéna qui ne se lassera pas de dire qu’il n’a pas vu le départ du ballon. On peut lui répondre que s’il avait vu ce fameux départ, il se serait
contenté, tout au plus, d’accompagner le ballon du regard plus longtemps….
Après la tempête, le théâtre mouvant se calme de plus en plus. Le capitaine Lacourt est depuis longtemps sorti de
sa cambuse. D’une voix calme, il replace son moussaillon qui commence à ne plus avoir de jus. Il procède aux derniers ajustements de son équipage lorsque Yamane se blesse alors que le chalutier
prend une dernière vague par le travers. Plus de peur que de mal, Joseph descendra d’un cran pour assurer le remplissage du charbon. Une corne de brume transperce l’air salé. Annonçant la fin de
la marée, il ne reste plus qu’à regagner le port. Sur le chemin du retour, tous échangent avec passion sur l’estimation de la valeur du gain du jour. Les discussions s’arrêtent nettes.
Incroyable !! Ils le voient tous. A califourchon sur les restes d’un tonneau de bon houblon mélangé à du malte, Pat est tranquillement poussé par le courant sur la grève. Sourire en coin,
intonation en sourdine, il rejoint le groupe contre toute espérance. Dans les vestiaires, c’est l’euphorie de valeureux qui ont une nouvelle fois triomphé des éléments. Le butin sera imposant à
n’en point douter. Au moment du partage des bénéfices, le soutier bâbord lancera un cri repris par d’autres obscurs. Des sans-grades, des oubliés au profit des stars harponnant toujours plus pour
un succès qui les fait passer pour des stars. Non décidemment, il ne peut en être autrement, au firmament d’un match constellé d’une victoire, ce sont bien 15 étoiles qui ornent la commanderie.
Pour s’en convaincre, le cri de joie lancé par des gorges qui n’attendent que d’être rincées.
Félicitations à tout l’équipage qui mérite une bonne perm à terre de quinze jours. C’est le p’tit mousse qui
se réjouit. Sa promise mise sur cette pause pour rattraper tous ces dimanches d’absence. Que du bonheur !!
Salutations,
Bruno